I. Naissance et Evolution d’un cancer.

 

 

 

1) Genèse d’un cancer (ou oncogenèse)

 

 

     Les cancers sont des maladies dues à un dérèglement de la division cellulaire dans des cellules qui vont alors proliférer après avoir perdu une partie ou la totalité du contrôle normal de cette division.

     On distingue trois groupes de cancers :

          -        Les carcinomes ou cancers des cellules épithéliales (cellules de revêtement, peau par exemple) qui représentent la majorité des cancers

          -        Les sarcomes ou cancers du tissu conjonctif (tissu de soutien présent dans l’organisme, os ou muscles par exemple)

          -        Les hématosarcomes ou cancers des cellules sanguines (leucémies, myélomes et lymphomes).

 

     Le cancer est une maladie aux causes géniques : le génome humain possède une multitude de gènes spécifiques de l’apparition ou non d’une tumeur cancéreuse. Parmi eux on trouve des gènes régulant la division cellulaire :                                                  

    -        Les proto-oncogènes sont des gènes qui stimulent la division cellulaire. Dans un cancer, ils existent sous forme anormale, dite oncogène. On comprend bien que l’activation excessive de ces gènes conduit à un dérèglement du cycle cellulaire vers une division incontrôlée.
L’influence de ces gènes est dite dominante car il suffit qu’un seul allèle soit touché (mutation sur une seule copie du gène) pour déclencher une division cellulaire anormale. Beaucoup de ces gènes ont été identifiés dont les plus connus sont Ras, Myc ou Abl.

    -        Les gènes suppresseurs de tumeurs, appelés aussi anti-oncogènes, jouent le rôle d’inhibiteurs de la division cellulaire. Contrairement aux proto-oncogènes, il est nécessaire que les deux copies du gène soient mutées pour lever l’inhibition de la division cellulaire. On connaît actuellement une vingtaine de ces gènes (dont le gène P53).

    -        Les gènes de l’apoptose ont été reconnus récemment pour participer également à la régulation du cycle cellulaire. L’apoptose ou mort cellulaire programmé est un processus biologique normal s’effectuant par exemple lors du développement embryonnaire ou quand une cellule est anormale et pourrait devenir dangereuse pour l’organisme. C’est un phénomène régulé par des gènes activateurs et inhibiteurs. Si l’équilibre se rompt en faveur d’une inhibition de l’apoptose, la cellule peut devenir "immortelle".

 

     Actuellement les scientifiques supposent qu’il faut une modification de 7 à 10 de ces gènes pour qu’une cellule passe d’un état normal à un état cancéreux. Sachant qu’il existe au moins 50 gènes de chacune des trois catégories, le nombre de combinaisons pouvant conduire à une tumeur est très élevé. Ce sont ces combinaisons qui sont à la base de la diversité des cancers.         

      

  

Comment l’activité d’un gène peut-elle être altérée?

 

   Dans le noyau d’une cellule, le matériel chromosomique est assez fragile : des translocations chromosomiques peuvent avoir lieu, c’est-à-dire qu’à la suite de cassures chromosomiques, les différents fragments produits peuvent se réassembler selon un profil qui n’est pas celui d’un caryotype normal. C’est ainsi qu’un proto-oncogène peut se réunir avec un chromosome autre que le sien et cette réunion peut sur-exprimer le proto-oncogène, le stimuler, ce qui a des conséquences dévastatrices (le plus bel exemple en la matière est celui du chromosome Philadelphie qui fait intervenir une translocation réciproque entre les bras longs des chromosomes 9 et 22. La translocation juxtapose le proto-oncogène c-abl sur le chromosome 9 au gène bcr sur le chromosome 22. Il en résulte un gène dit chimérique qui code une protéine de fusion anormale au pouvoir oncogénique.). Dans le cas inverse, un chromosome peut perdre un gène qui sera définitivement perdu (ne se réunira pas avec un autre chromosome). Voilà pourquoi un anti-oncogène peut être perdu et donc ne pas s’exprimer.

   L’activité d’un gène peut sinon être modifiée par une altération de sa séquence en ADN, c’est-à-dire de l’ordre des nucléotides de l’ADN (la modification de très peu de nucléotides peut avoir un impact majeur sur l’activité du gène !). Ainsi la modification de la séquence d’un gène suppresseur de tumeur peut le désactiver.

 

Quels peuvent être les facteurs de cette modification?

 

    Une telle altération au niveau de l’ADN est souvent causée par des agents carcinogènes comme le tabac, les radiations (souvent responsables de translocations chromosomiques), ou encore des produits chimiques cancérigènes (qui sont partout dans la vie courante et  pour la plupart imprévisibles).

     Un cancer peut aussi être d’origine virale. Dans tous les cas, un gène code pour la production d’une protéine. Cette protéine définira le métabolisme de la cellule et donc son phénotype. Les virus responsables de la cancérisation d’une cellule, dont le papillomavirus, produisent des protéines qui se fixent sur celles produites grâce aux gènes suppresseurs de tumeur de la cellule-hôte du virus ; ces protéines sont alors inactivées, ce qui permet à la cellule de se diviser anarchiquement. Le papillomavirus est responsable d’environ 6% des cancers.

 

 

2) Caractéristiques acquises par la cellule cancéreuse (au niveau du phénotype)

 

   Tout au long de sa vie, une cellule suit un cycle d’activités bien défini appelé cycle cellulaire. Voici les différentes étapes de celui-ci (chacune étant désignée par une lettre) :

G1 : phase post-mitotique. La cellule exerce normalement ses fonctions physiologiques (son métabolisme) pendant cette phase.

S : duplication de l’ADN en vue d’une mitose (division cellulaire). Cette phase dure 1/3 de la durée totale du cycle.

G2 : phase prémitotique. La cellule diminue sa synthèse d’ADN.

M : mitose : la cellule (appelée cellule mère) se divise en deux cellules filles.

G0 : phase de réserve. La cellule recommence le cycle ou meurt.

 

Division anarchique de la cellule cancéreuse :

   Il existe de protéines régulant ce cycle cellulaire (dans une cellule normale), notamment le passage de la phase G1 à la phase S. Par exemple, le gène codant pour la synthèse de la protéine Rb est considéré comme le verrou du cycle cellulaire. Sous sa forme active, Rb est capable de freiner le passage de G1 à S, limitant ainsi la duplication de l’ADN, et donc par conséquent la division cellulaire (elle-ci dépend justement de la duplication de l’ADN). Mais suite à des mutations au niveau du gène, Rb peut être désactivée, ce qui implique des duplications d’ADN incontrôlées, et donc des divisions cellulaires anarchiques.

   De plus, les cellules d’un même tissu de l’organisme s’envoient souvent des signaux, chaque cellule obéissant aux signaux qu’elle reçoit, ceux-ci lui indiquant par exemple de plus ou moins se diviser, selon les besoins du tissu. Or, les cellules cancéreuses n’obéissent pas à ces signaux, se divisant anarchiquement en toutes circonstances.

   Voilà donc les deux plus importants facteurs de la division anarchique de la cellule cancéreuse.

 

Apoptose et cellules cancéreuses :

La vie et la mort des cellules de l’organisme sont contrôlées, d’une part par des gènes pro-apoptotiques tels que c-myc, p53, sollicitent le suicide programmé de la cellule, appelé apoptose. D’autre part, des gènes de survie ou anti-apoptotiques comme le gène bcl-2 maintiennent la cellule en vie.

Dans les cellules cancéreuses, le problème se situe au niveau du premier type de gènes cité : chez les cellules normales, dès qu’une lésion d’ADN est détectée dans le noyau de la cellule, le gène p53 provoque (en codant pour la synthèse de protéines spéciales) l’arrêt du cycle cellulaire (début de la phase G0). Les lésions sont alors réparées, ou l’apoptose est déclenchée. Ainsi, la mutation des gènes pro-apoptotiques interdit toute apoptose : les cellules s’accumulent alors sans mourir.

 

Immortalité de la cellule cancéreuse :

Attention : ici, « immortalité » veut dire prolifération illimitée.

Dans le noyau de toute cellule se trouvent aux extrémités des chromosomes des séquences répétitives, qui ne sont pas des gènes, appelées télomères, et qui s’usent à chaque duplication d’ADN : ces télomères finissent donc, au bout d’un certain nombre de duplications, par disparaître. Dès que celles-ci ne sont plus là, c’est-à-dire dès que les extrémités des chromosomes ne sont plus protégées, la duplication s’arrête à jamais. C’est ce qui explique le nombre limité de duplications d’ADN, et donc de divisions cellulaires, d’une cellule au cours de sa vie : cette limite est appelée limite d’Hayflick, aux alentours de 20 à 60 pour les cellules de l’Homme).

Animation cellule normale (cliquez sur le lien pour visionner l’animation).

 

Dans les cellules cancéreuses il y a surexpression des gènes codant pour la fabrication de télomérases (enzymes catalysant l’ajout de télomères à l’extrémité des chromosomes). C’est ainsi que dans les cellules cancéreuses, il n’y a pas « érosion » des télomères, et l’ADN peut être dupliqué indéfiniment, et donc la cellule peut être divisée anarchiquement.

Animation cellule cancéreuse (cliquez sur le lien pour visionner l’animation).

 

Division cellulaire anarchique.

 

      

     Enfin, une cellule cancéreuse acquiert la capacité de s’échapper de son tissu d’origine pour métastaser, ce qu’une cellule « normale » ne peut pas faire.

 

Conclusion :

     La transformation tumorale ou transformation néoplasique se fait en 3 étapes :

     -        L’initiation qui a pour origine la mutation d’un proto-oncogène ou d’un gène suppresseur de tumeur (également appelé anti-oncogène)

     -        La promotion due à une augmentation des capacités de la cellule à proliférer (elle perd notamment son inhibition de contact, c'est-à-dire la capacité qu’elle a normalement de s’arrêter de se diviser au contact des cellules voisines ; par ailleurs elle peut se diviser en absence de signaux déclencheurs comme les facteurs de croissance)

     -        La progression tumorale qui résulte du fait que les cellules cancéreuses échappent à la fois au système immunitaire et aux mécanismes de mort cellulaire programmé.

 

     Donc il s’écoule en général plusieurs années entre l’apparition de la première cellule cancéreuse et la formation d’une tumeur décelable par palpation ou radiographie.

 

 

3) Evolution d’un cancer : Tumeur, Angiogenèse, et Métastases.

 

   En se multipliant, les cellules cancéreuses vont alors former un amas de cellules transformées qu’on nomme tumeur.

     Cette tumeur primaire a une origine clonale car les cellules qui la composent sont toutes issues de la cellule mutée initiale.

     La tumeur est dans un premier temps isolée de tout vaisseau sanguin ou lymphatique. Elle est pour le moment de petite taille, donc difficile à détecter. Lorsque la tumeur grossit pour atteindre la taille d’1 cm² environ (ce qui correspond déjà à des milliards de cellules), la tumeur trouvera le moyen de se répandre dans l’organisme. Grâce à des facteurs chimiques, la tumeur peut attirer vers elle un vaisseau sanguin (ou lymphatique). Lorsque la tumeur est assez proche de celui-ci, elle libère des enzymes appelés protéases qui vont dégrader la membrane basale vasculaire (MBV) et libérer ensuite des hormones de croissance qui vont provoquer la formation d’une nouvelle ramification de ce vaisseau, ou néovaisseau, qui alimente la tumeur et lui permet encore de se développer. La formation d’un néovaisseau est appelée angiogenèse.    

   Animation angiogenèse (cliquez sur le lien pour visionner l’animation).

 

   La tumeur peut libérer des cellules cancéreuses, qui emprunteront le vaisseau sanguin (ou lymphatique). Une fois « installée » dans un nouvel organe, la cellule cancéreuse va de nouveau se multiplier et former une tumeur secondaire nommée métastase. La multiplication du nombre des métastases conduit à ce que l'on appelle souvent un cancer "généralisé".

     Les cancers du sein se métastasent presque toujours dans les mêmes organes. La molécule chémokine CXCL12, (produite par certains organes comme le foie, la moelle osseuse ou les poumons), ramène vers les organes dont elle est issue, des leucocytes ou des cellules indifférenciées. Cette molécule, pouvant s’associer à une protéine présente sur la cellule cancéreuse, ramènent alors le cancer vers son organe d’origine, ce qui provoque des métastases.